Si la FinTech a pris le monde par surprise, l’Union Européenne a su prendre le train en marche. Au point d’en devenir la locomotive ? Le regard de Damien Guermonprez, directeur général de Lemonway.
La révolution FinTech est en cours
Il ne se passe pas une semaine sans l’annonce du lancement d’une nouvelle banque digitale ou d’un nouveau moyen de paiement, voire les deux à la fois. Nous nous étions habitués à utiliser nos chères cartes bancaires et voilà que les nouveaux acteurs vont nous ouvrir des « wallets » ou porte-monnaie électroniques par millions. Ce ne sont pas les banques qui sont à la manœuvre, mais les géants de l’univers digital, bien décidés à récupérer une part du gâteau – à commencer par les fabricants de smartphone (Apple Pay et Samsung Pay), les nouveaux commerçants (Alipay, filiale d’Alibaba, et PayPal, ancienne filiale d’Ebay) comme les anciens (Walmart Pay), sans parler des réseaux sociaux (WeChat Pay). Il est vrai que l’inertie des banques et de leurs fournisseurs monétiques face à l’opportunité que représente l’arrivée du porte-monnaie électronique laisse un boulevard aux nouveaux entrants. Qui imaginait pourtant qu’ils puissent chacun ouvrir 400 à 600 millions de comptes de particuliers aussi vite ? Alimentée par les révolutions technologiques en cours et par les investissements massifs dans le secteur, cette vague mondiale ne concerne pas que le paiement, mais bouleverse toute l’industrie bancaire. Les chiffres affichés par CB Insights, Business Insider et Accenture le confirment : 24 milliards de dollars ont été investis dans la FinTech entre 2010 et 2014 et 22 milliards de dollars rien qu’en 2015, principalement aux États-Unis, au Royaume Uni et en Inde.
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La FinTech européenne profite pleinement de cet engouement, en concentrant 20 % des investissements mondiaux en 2015, soit 4,4 milliards de dollars. Plusieurs Directives européennes récentes ont marqué un tournant à cet égard. D’abord celle qui interdit aux sites Internet comme les places de marché d’encaisser directement l’argent de leurs clients finaux afin de sécuriser les transactions. Cette disposition a créé un nouveau métier, celui de la collecte d’argent pour le compte de tiers, conduisant à l’émergence de plusieurs acteurs spécialisés sur le territoire européen. Ces derniers ont pu se développer rapidement grâce à une autre Directive européenne, complémentaire – celle qui permet aux FinTech de « passeporter » leur agrément financier dans l’ensemble de l’Union aussitôt celui-ci obtenu dans un des 28 pays membres. L’autorité de tutelle du pays qui a accordé la licence est responsable de suivre et de contrôler le nouvel établissement financier. L’acceptation des autres autorités de tutelle est donc automatique et relève de la simple formalité. Une révolution règlementaire majeure, en phase avec les modalités de la mutation digitale : l’économie numérique ne connaissant pas les frontières, il fallait s’affranchir de celles divisant l’espace économique européen pour espérer rivaliser avec les leaders du secteur. Et ça marche. En témoigne le cas de Lemonway, qui a pris le leadership sur certaines niches comme le crowdfunding grâce au passeport financier. La start-up a obtenu fin 2012 son agrément français délivré par l’ACPR, l’a immédiatement passeporté dans les 27 autres pays de l’Union Européenne, et après un pivot pour passer du B2C au B2B, a décollé dès début 2014, en multipliant son chiffre d’affaires par 4, deux ans de suite, pour ensuite s’installer dans un rythme de triplement de l’activité chaque année. Une croissance éclair également rendue possible par la réactivité de l’ACPR, qui a réussi la transposition de la directive des paiements en avance sur de nombreux pays. Lemonway est donc arrivée la première, sans concurrence locale, dans les pays membres dont l’autorité de tutelle avait tardé à transposer la directive. Une fois le marché pris, il est difficile de déloger le leader… L’exemple de Lemonway illustre la liberté d’entreprendre acquise par les FinTech en Europe. Ces dernières obtiennent désormais leur agrément financier sans être contraintes d’accepter un actionnaire de référence à leur tour de table. En outre, grâce à une autre Directive européenne prenant acte des gains de productivité et des réductions de goût permis par le numérique, elles n’ont plus besoin de 15 millions € de fonds propres minimum pour se lancer – Lemonway a ainsi débuté avec seulement 1,3 millions €.
La révolution numérique va vite
Cela rend possible l’émergence d’acteurs européens capables de rivaliser avec les concurrents américains et chinois. 40 ans après avoir crié « nous n’avons pas de pétrole mais nous avons des idées », nous pourrions dire « nous n’avons pas de GAFA mais nous avons l’Europe ». Avant les Directives européennes, aucun des marchés domestiques n’avait la taille pour mettre rapidement sur orbite un acteur capable de sortir d’Europe. Le fait que les Européens utilisent tous des cartes des réseaux Visa et MasterCard dont les sièges sont aux États-Unis l’illustre bien. L’arrivée du SEPA (Single Euro Payment Area) a même facilité la consolidation du secteur avec le rachat quasi systématique des réseaux de cartes de débit locaux par Maestro, marque du groupe MasterCard.
La création de Visa Europe a rassuré un moment les politiques mais a rapidement débouché sur son rachat par Visa Inc. Les Européens sont désormais avertis : la révolution numérique va vite. Or, dans les marchés où la taille compte, la vitesse est primordiale pour atteindre la taille critique. Si dans les années 1980, les constructeurs automobiles japonais nous ont appris l’importance de la qualité totale, leurs concurrents coréens nous ont appris depuis 20 ans que la vitesse prime sur la qualité totale. Il est toujours possible d’améliorer un bon produit qui est arrivé le premier sur le marché. Celui qui attend d’améliorer son produit, quitte à arriver trop tard, a perdu, car la nouvelle économie ne laisse pas de place au second. Dans ce contexte, le projet européen permet aux acteurs financiers innovants de participer pleinement à la mutation numérique. Espérons simplement que le régulateur européen saura s’adapter au nouveau souffle de dérégulation dont la City risque de bénéficier prochainement.
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